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Pratiques managériales en période de crise

Cette synthèse s’appuie sur le retour d’expériences d’une quarantaine d’entreprises, d’associations et d’institutions normandes sollicitées par l’Aract Normandie. Les personnes interrogées, principalement des membres de la direction, ont accepté de témoigner sur la manière dont leurs structures se sont organisées pour travailler et poursuivre leur activité durant la période de confinement due à la pandémie de Covid-19. Il s’agit d’entreprises appartenant à des secteurs d’activité différents et de tailles différentes.

Cette synthèse vise à porter un éclairage sur le rôle et les pratiques des managers au cours de cette période singulière et n’a pas vocation à définir des généralités mais bien à illustrer une diversité de pratiques face à cette situation.

Tous les secteurs d’activité n’ont pas subi et vécu la crise de la même manière. Au sein même des entreprises, les collectifs de travail ont également vécu des situations différentes : télétravail pour certains, activité partielle, continuité d’une activité en présentiel pour d’autres, et même fermeture complète parfois.

Quelle que soit la situation et la taille de l’entreprise les managers ont été confrontés à une épreuve souvent inédite !

  • Ils ont dû innover en matière de prévention : en s’adaptant à un contexte instable, mouvant, composé de nombreux inconnus et fortement dépendant de décisions gouvernementales ;
  • Ils ont dû arbitrer et proposer des mesures aux résonnances fortes tant pour les clients, les fournisseurs, les financeurs que pour les salariés (dans leur équilibre professionnel et personnel) et leur activité.
  • Ils ont été en première ligne pour réguler, soutenir, réorganiser le travail et les équipes mais aussi parfois pour être vecteurs d’injonctions ou de cadres prescrits.
  • Ils ont dû, en sus de leur activité de gestion et d’administration, composer de manière accrue avec les singularités des situations des salariés face à ce contexte tout en maintenant un équilibre collectif et le souci de la santé et de la production ;
  • Enfin, il s’est agit de manager (ou de diriger) parfois à distance de ses collaborateurs, réinventer des modalités relationnelles pour assurer un lien interpersonnel et collectif nécessaire à la continuité et utile à l’innovation.

C’est sans compter sur les préoccupations financières et d’avenir.

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Zoom sur le manager et sa santé !

Ce contexte a contraint ou invité les membres de l’encadrement à une hyper disponibilité et à une charge de travail considérable. La période de confinement, puis de déconfinement posent des contraintes et enjeux distincts mais laissant peu de répits aux managers, au regard des perpétuels réajustements à opérer.

La majorité des managers n’a pas pris de congés durant cette période, a renoncé au télétravail lorsque c’était possible car vécu comme souhaitable pour les équipes « je crois en l’exemplarité et en la force de la présence physique », « j’ai tenté de manager à distance mais c’est épuisant et chronophage … ils ont besoin de contact, de réponse immédiate ».

L’engagement de chacun pour traverser cette période a été spontané mais beaucoup s’inquiètent face à un contexte qui perdure : « je tiens pour le moment mais je ne sais pas comment je vais rebondir ». « En télétravail ce sont des journées doubles, tout ce qui se régulait spontanément doit être planifié, organisé… ».

D’autres sont confrontés à des exigences ou orientations de leur groupe qui réinterrogent leurs marges de manœuvre et la cohérence de leurs actions « je me pose beaucoup de questions sur mon avenir, cette période met en évidence des dissonances importantes entre mes valeurs et celles du groupe ».

Parfois le soutien de l’équipe de direction ou d’encadrement est salutaire, pour d’autres la qualité des liens est ternie par la distance ou la charge et les inquiétudes de chacun.

« En plus de mon activité de dirigeant, j’absorbe chaque contexte singulier difficile et doit y trouver des réponses, sans compter les inquiétudes qui me sont personnelles ou mes exigences familiales propres ».

Quel accompagnement des managers aujourd’hui et demain ?

La prévention de la santé repasse en première ligne

Cette crise sanitaire a mis en lumière l’ensemble des exigences organisationnelles liées à la prévention de la santé des salariés et des publics bénéficiaires. Cette dimension parfois cantonnée à une fonction, à une instance, a pris soudainement une place conséquente dans l’activité des managers invités à repenser l’ensemble des mesures préexistantes ou à mettre en place.

L’enjeu étant de permettre un équilibre satisfaisant entre les mesures de prévention et la préservation de l’activité de travail.

Ces mesures ont dû être mises en œuvre de manière très rapide et parfois unilatérale. Outre l’appui des fonctions RH ou HSE (lorsqu’elles existent), les dirigeants ont repositionné ce sujet au cœur des instances avec les représentants du personnel. Il apparaît que les remontées du terrain (des salariés via l’encadrement) ont largement alimenté les réflexions et permis de consolider des PCA et PRA adaptés aux besoins réels.

Il semble que les enjeux de prévention de la santé aient bénéficié d’une mise en avant « évidente » dans ce contexte, quelles traces restera t’il demain de cette dynamique ? Quelles mesures « barrières » l’entreprise considèrera utile de maintenir au bénéfice de la santé de tous ? Quelle sera la norme de demain ? Le manager aura t’il assimilé le maillage complexe mais indispensable de ces enjeux ? Cela renforcera-t-il la prise en compte des autres enjeux de prévention (RPS, TMS, …) ?

Les managers responsables d’arbitrage et de décisions aux enjeux forts

Si les exigences et le cadre gouvernemental ont prescrit de nombreuses orientations, selon leur domaine d’activité, de nombreux dirigeants ou managers ont été amenés à prendre des décisions fortes dans un temps très court en amont de cette période de crise. Fermer, mettre en chômage partiel ou en télétravail, réorienter l’activité intégralement ou en parti … Autant de choix stratégiques complexes impactant l’entreprise et sa pérennité, les clients, les fournisseurs et bien entendu les salariés (absentéisme, suspicion covid...). La complexité a résidé dans l’incertitude de la situation mais a aussi été liée au manque de visibilité sur la temporalité de cette crise. On peut imaginer combien l’isolement des dirigeants a pu complexifier leur tâche. Il apparaît que beaucoup se sont orientés vers des ressources identifiées : branches, syndicats, conseillers, collègues, groupes etc. qui ont rapidement déployé des espaces ressource pour accompagner l’action managériale d’un point de vue règlementaire voire stratégique.

La réactivité de l’encadrement dans ce contexte, sa capacité à arbitrer rapidement, à ne pas laisser s’installer de flou et de doute semble avoir été très propice à une réorientation sereine et « rassurante » pour les équipes.

De la même manière la capacité d’écoute, d’explicitation et d’association des salariés aux décisions a été centrale. Ce dirigeant de TPE du bâtiment exprime « j’ai dû mettre mes deux jeunes au chômage partiel, ils n’ont pas compris au début, je les appelle souvent, je leur donne des nouvelles et ils gardent un salaire minimum mais sont impatients de reprendre ». Ce dirigeant d’une structure sociale « Le soir de l’annonce j’ai fait une note d’orientation ferme décidant de mettre tout le monde en télétravail. Cette orientation, ce cap a été soumis le lendemain au Codir puis présentée aux salariés via l’encadrement. Ils n’ont pas eu de questions à se poser sur les suites, ils ont apprécié, se sont sentis sécurisés ».

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Le soutien managérial passe par la régulation des collectifs et du travail

Tous les managers entretenus expriment le développement massif de temps de régulations formels et informels avec les salariés collectivement comme individuellement. « Ils ont besoin d’avoir de l’information, de parler, d’être rassurés, écoutés, détendus face à cette crise ».

Ces échanges oscillent d’enjeux personnels et familiaux (pathologies, craintes, problèmes d’organisation personnelle, de planning…) à l’expression de besoins nouveaux associés à l’activité et à sa réorganisation. Par exemple réajuster une mesure nouvelle pour qu’elle réponde mieux au besoin. « J’assiste à chaque réunion désormais et dès qu’il y a un souci on trouve une solution immédiatement là où avant on prenait le temps de passer par un circuit décisionnaire trop long » précise cette directrice d’EPHAD.

« On réajuste chaque jour ce que l’on avait envisagé, nous devenons agiles ! » exprime cette directrice de centre pour personnes handicapées.

La disponibilité et le temps accordés par les managers à ce soutien des salariés dans leur activité laisseront-ils trace sur les collectifs ? Les bénéfices associés en termes de qualité des relations et du travail sauront-ils être appréciés par les salariés ? Les enjeux économiques liés à la reprise décentreront ils les managers de cette régulation ?

Les collectifs pourront ils revenir à un système moins souple et agile ?

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Composer avec les individualités sans compromettre le collectif

Si cette activité fait partie intégrante de l’activité de manager, il est possible que ces exigences parfois contradictoires aient été exacerbées au cours de cette période qui les a mis en lumière. Des enjeux personnels d’ordre privés se sont immiscés dans le fonctionnement de l’organisation et s’ils préexistaient ils ont été soumis au regard du plus grand nombre et non pas traités de manière confidentielle.

En effet chacun a réagi différemment à ce contexte de crise notamment au regard de sa situation personnelle. Cette composante personnelle apparaît s’être introduite de manière plus évidente dans la vie de l’entreprise : congés pour garde familiale, accompagnement d’un proche malade, aménagements horaires, aménagement des conditions de télétravail... De la même manière, le virus ne connaissant pas les limites professionnelles et personnelles, les mesures sanitaires de l’entreprise étaient envisagées comme débordant la sphère professionnelle et inversement. Par exemple dans les Ephad : les salariés avaient peur de véhiculer le virus dans un sens comme dans l’autre). Dans une structure d’accompagnement à domicile de mineurs en difficultés certains éducateurs ont largement différé la reprise des accompagnements chez les bénéficiaires par crainte pour leur santé alors que d’autres ont maintenu ces rencontres. Face à ces observations la direction exprime la nécessité d’entendre les singularités tout en reprécisant progressivement un cadre commun (qu’il envisage de co-construire en CSE).

Les managers confrontés à la gestion de ces aléas auraient pu redouter des postures défensives de collègues défendant l’égalité de traitement de chacun or il apparaît qu’à contrario les collectifs se sont soudés et ont entendu spontanément les singularités des situations et accepté leur impact sur l’organisation du travail.

Néanmoins la temporalité de cette crise peut avoir cristallisé des tensions entre personnels, entre métiers comme ceux « restés en première ligne » et ceux « restés au chaud chez eux ».

La nature des relations professionnelles a été fortement impactée par cette période, ces relations intègrent la ligne managériale. L’avant crise a fortement influé sur la période de crise et cette période conditionnera aussi le lendemain. (Cf Article sur les relations)

Manager et managers à distance…

La période rencontrée a éprouvé les managers dans leur pratique professionnelle et s’est avérée révélatrice. En effet des mouvements se sont opérés dans la qualité des liens des dirigeants et managers de proximité avec leurs équipes.

Qu’ils soient distanciés des collectifs (dans le cadre de télétravail par exemple) ou sur site, en présentiel, les liens se sont parfois renforcés en qualité et en quantité (espaces de dialogue, parfois innovants), démultiplication des temps, soutien managérial… Certains managers expriment un renouveau dans la qualité des relations qui se sont nouées durant cette période « nous avons éprouvé une relation de confiance renforcée qui je l’espère durera » exprime ce dirigeant d’une association. « Les salariés se sont beaucoup exprimés et des réponses ont été apportées rapidement » précise cette directrice d’Ephad. Il apparaît également que la qualité du lien préexistant au sein du collectif encadrant ait favorisé une collaboration accrue dans certains cas, lissant même la ligne hiérarchique « chacun se soutenait et investissait un même rôle auprès des équipes » déclare une assistante de direction.

A contrario, dès lors qu’une fragilité pouvait préexister, la période traversée a induit des mouvements potentiellement délétères.  Dans cette grosse association le CODIR s’est fortement soudé et rapproché en direct des salariés, risquant dès lors de court-circuiter la ligne hiérarchique intermédiaire. Dans cette autre structure, la directrice a renoncé à effectuer du télétravail car sa place physique laissée vacante a rapidement été investie par son adjoint qui lui semblait prendre des décisions relevant de sa sphère de responsabilité : « la nature a horreur du vide, même s’il n’est que physique ». De manière comparable, pour certaines structures appartenant à des groupes, les décisions sur les procédures à tenir semblaient prises trop à distance du site et la qualité des relations entre la direction et le siège ont rendu possibles ou non des ajustements nécessaires. Plus que jamais, la cohérence de la ligne managériale a impacté la qualité de vie au travail des salariés durant cette période. Cette hypothèse méritera d’être affinée avec un nombre plus important de témoignages salariés. Enfin, quelques témoignages font part de la mise en lumière de difficultés managériales préexistantes : difficultés de communication, manque d’intérêt pour le travail des salariés au bénéfice d’une approche strictement administrative ou règlementaire, défaut d’écoute ou de compréhension des difficultés individuelles et professionnelles etc. « grand silence, pas d’informations ou très tardives … Mes collègues et moi avons vu se renforcer l’éloignement et l’isolement, la perte de sens et de dynamique collective » déclare une salariée.

Et demain ?

Les attentes et exigences associées à la fonction managériale ont été exacerbées par ce contexte. Les organisations, les relations, les modalités collaboratives ont connu des évolutions souvent importantes qui s’inscrivent dans la durée.

L’exemple de la gestion managériale de la mise en place du télétravail est assez révélateur : il a fallu pour l’encadrement trouver la juste mesure entre une volonté ou un besoin d’hyper-contrôle de l’activité (reporting excessif par exemple) et un déficit d’accompagnement de l’activité réalisée à distance (l’autonomie et la responsabilisation ne doivent pas signifier autogestion). Le juste positionnement du curseur n’a pas été aisé à trouver dans cette période dégradée qui n’a pas favorisé la prise de recul et a nécessité de réinventer des modalités de dialogue. Il sera nécessaire pour chaque entreprise ayant expérimenté cette modalité de travail d’évaluer et de réajuster ses process demain pour s’assurer d’une plus-value partagée.

De fortes interrogations demeurent quant à la suite de cette période :

  • Quelles seront les ressources managériales pour intégrer l’ensemble des changements survenus et en tirer profit ?
  • De quels outils disposent les managers pour assurer une transition harmonieuse et co-construire une nouvelle page avec leurs collectifs (de direction et de salariés) ?
  • Quelle stratégie face à la tension qui va se renforcer entre souci de productivité et préservation de la santé ?

Il apparaît plus que jamais que la « démarche Qualité de Vie au Travail » vienne répondre à la majorité des besoins des entreprises et de leurs managers aujourd’hui.

En effet, cette démarche maille les enjeux de performance et de bien-être, étaye les managers dans leur réflexion grâce à un collectif représentatif des différentes sensibilités de leur entreprise, s’appuie sur l’expression des salariés et sur leur capacité d’innovation, s’ancre dans la réalité des besoins du travail au présent, et enfin s’autorise à tester de nouvelles modalités de travail et à réajuster. L’entreprise de demain est à réinventer, cet outil paraît incontournable.

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